Comme personne veut proposer de nouveaux mots non-joanniens... ben désolé... encore...Les barricades assassinées
Non !
Je t’avais dis de ne pas lâcher ma main ! Surtout maintenant.
Les choses sérieuses commencent, ça va bientôt dégénérer.
Et je ne te vois plus, noyé dans cette marée humaine. Je n’aurais jamais du t’emmener à cette manifestation, je savais qu’elle n’allait pas être tranquille. Pourtant la marche fut tranquille pendant une heure, les policiers nous surveillaient du coin de l’œil prêt à intervenir à la moindre incartade, le service de sécurité fermait la marche. Ta première manifestation.
Et soudain c’est parti.
Les gens ont commencé à crier, à se bousculer, j’ai serré plus fort ta main mais tu m’as lâché. Je t’avais dit de ne pas le faire !
Je tente de nager à contre courrant mais je suis loin d’être un saumon. La foule court mais elle est compact et se dirige vers l’avant de la manifestation me coupant de toi. Je ne peux pas sortir, je ne veux pas avancer, je veux te retrouver. On ne devait pas se séparer !
Les coups de pétards partent. Ca va commencer. La police va encercler le cortège, je dois te trouver avant et fuir, je n’ai pas envie d’aller au poste de police.
Lentement je dévie sur le bas côté, mon pied heurte la chaussé. Ne pas tomber, non ne surtout pas tomber sinon je me ferais piétiner. Cette foule est comme un troupeau de taureau lâché en plein Barcelone. Je ne veux pas être un dommage collatéral, une statistique de plus dans les blessés de ces rassemblements. De ma main j’arrive à attraper un poteau, parfait je m’en rapproche. Il y’a moins de foule, mais je n’arrive pas à voir où tu es.
Alors je grimpe sur ce poteau faisant tanguer l’affiche accrochée en haut du panneau.
Il faudra qu’on aille le voir ce film, il sort mercredi.
Mes mains sont pleines de sueur, elles glissent. Vite je les essuie sur mon sweet-shirt et je rabats mes manches sur mes mains, ça accrochera mieux. Je me hisse, tient avec mes jambes placées en croix et monte lentement le panneau.
Je monte de deux mètres à peu près, je vois la foule qui cavale. Certaines personnes courent dans les rues adjacentes. Tu n’es pas parmi eux. Je regarde la foule, j’essaie de te repérer à ta coiffure que tu oses nommer originale. Avoue le, tu as n’as simplement pas envie de te coiffer.
Mais je ne te vois pas, des capuches ces casquettes, des tondus, des chevelus, des bruns, des châtains, une blonde… qui court dans le bon sens, bizarre, des cheveux verts, roses, multicolore mais pas les tiens.
Où est-tu ?
Je regarde plus au loin, tu t’es peut-être arrêté.
Non le cortège arrive à sa fin, je vois les casseurs à quelques centaines de mètres. Quelques policiers en civiles procèdent à des interpellations. Le service d’ordre est débordé. Mais c’était à prévoir.
Et tu n’es pas là.
Où est-tu merde !
Je ne vais pas pouvoir rester là. Ca va sentir mauvais d’un instant à l’autre, j’ai du te manquer dans la foule, pas étonnant avec tout ce monde.
Un flic en civile m’a vu, il me crie dessus.
Il veut que je descende gentiment de ce panneau et l’attende pour qu’il m’interpelle.
Pas question. Je saute de mon perchoir. Je ne peux pas retourner dans la foule, elle est trop compacte, à peine dedans il m’attraperait.
La rue Hoche sur ma droite. Elle est déserte, je m’y engouffre, je cours comme un dératé, tentant de lui échapper. Je retrouverais la manifestation plus bas, je connais le quartier comme ma poche. La preuve, dans la rue Leconte sur la gauche, il y’a un magasin de photos, je passe devant prend la deuxième ruelle à droite et je suis de retour dans l’avenue.
Merde, des casseurs. Ils s’en prennent à la vitrine du photographe. Vite un autre passage. Fait chier, le petit secoué de la bande m’a vu. C’est pas bien de montrer du doigt.
Vite je cours, eux aussi je dois les semer maintenant. Je ne sais même plus dans quelle rue je suis, les semer d’abord voir où je suis ensuite. Ils courent vite, j’aurais du faire plus de foot, mais je peux les semer.
Soudain je m’effondre, j’ai mal. Ils m’ont lancé une barre de fer dans les pattes. Lancer réussi, je me suis effondré par terre, mon menton a durement heurté le sol. Et j’ai mal à la cheville. Ces connards ont du me la tordre en me faisant tomber !
Et ils arrivent. Je sais ce qui va se passer, me mettre en boule pour prendre le moins de coups possibles dans la tête.
Les premiers commencent à pleuvoir dans mon dos. Ils sont trois, ils sont bêtes, ils sont méchants. Et ils font mal. Une de leurs chaussures perce ma défense et son pied vient heurter mon nez. Sous le coup je crie. J’ai du sang dans la bouche, je saigne du nez, j’en suis sur, mais je garde les yeux fermées, surtout ne pas les ouvrir.
Une victime des casseurs, une de plus. Ils pourront gonfler leurs statistiques grâce à moi.
Je ne sais plus si ça fait dix secondes, dix minutes ou une heure qu’ils me passent à tabac. J’ai mal mais pour tenir je pense à toi, je vais te retrouver, tu vas avoir une belle frayeur en me voyant comme ça mais je vais te rassurer, comme toujours.
Enfin la pluie s’arrête, les grêlons deviennent de la fine pluie puis leurs chaussures martèlent le bitume en une rapide cadence. Ils courent, ils s’enfuient. Quelqu’un les aurait vu ? Non le quartier est désert. J’ouvre un œil. Personne.
Je me redresse péniblement pour m’asseoir sur le trottoir. J’ai mal. Ma cheville surtout. Le reste j’ai l’habitude.
Je crois qu’ils m’ont pété une dent.
Je dois me reprendre, faire une petite pause. Ils ne reviendront pas. Je sort mon paquet de clope qui a amorti deux trois chocs et m’en allume une toute tordue.
La première taffe me fait un mal fou à la gorge et je ne peux m’empêcher de tousser. Je crache du sang en même temps que ma cigarette.
Et merde.
Je me relève tant bien que mal en me tenant le dos et en serrant mon paquet de clope vide et c’est en boitant que je déambule dans les rues.
Ma cheville a moins souffert que je ne le pensais.
Tout s’embrume dans ma tête, le bateau tangue mais pourtant il n’est pas ivre. J’ai du prendre un coup un peu trop fort.
Je prend appuie sur un immeuble. La pierre est froide et rugueuse, Où je suis ? Allée Lecourbe. Parfait l’avenue de Leclerc n’est pas loin, je vais te retrouver, j’arrive.
Je recommence mon expédition, la foule de manifestant a du se rassembler et commencer à se calmer. J’aurais du avoir un portable, j’aurais pu t’appeler pour te retrouver. Mais tu dois aller bien maintenant. Tu as du retrouver la bande et Nicolas doit être en train de rire de la frayeur qui est encore imprimé sur ton visage.
Ca y’est l’avenue est là. Mais j’ai du remonter vers mon point de départ donc maintenant c’est le calme plat à cet endroit.
Au loin j’entends les manifestants qui chantent. Quelques irréductibles sont là pour que notre message ne soit pas salit.
Quelques mètres plus haut deux ambulances sont là. Des flics aussi. Je vais devoir passer derrière eux, pourvu qu’ils ne me voient pas.
Il est mort.
Sur le brancard, un corps est recouvert d’un drap blanc. C’est la première fois que je suis aussi près d’un macchabée. Un mort dans une manifestation pacifique. Ca va en faire des heures.
Encore une grande avancé pour les statistiques.
Un policier arrive en accompagnant un blessé léger. Il n’est en état d’arrestation. Il a juste le crâne qui saigne.
C’est Benjamin !
Je vais vers lui comme je peux et lui sourit. Lui aussi, nous sommes tous les deux amochés, mais cela une fera une super histoire à raconter. Mais rassures-toi j’éviterais d’en parler à tes parents.
Mais Ben, il a un téléphone !
Alors que je refuse les soins et que lui les accepte je lui emprunte son téléphone pour t’appeler. Il faut que je te raconte ça autour d’un café.
Je compose le numéro en grimaçant. Mes doigts sont pleins de sang, il faudra que je pense à nettoyer le clavier avant de lui rendre. Heuresement mon nez a saigné de couler. Je porte le téléphone à mon oreille. J’espère que tu arriveras à m’entendre avec tout le boucan qu’il y’a là bas.
Oh, ça sonne !
Tiens, j’entends la mélodie, celle qui fait un peu dessin animé de nounours, cette sonnerie idiote que tu as mis quand on t'apelle. Pourquoi je l’entends ?
Où est-tu ?
Trois sonneries, le répondeur. Ta voix douce.
Le brancard, la sonnerie vient du brancard.
Le répondeur finit son annonce avec le bitume comme seul interlocuteur, moi je me précipite déjà vers le brancard.
Putain de statistiques…
Fin